Experts : Quel sera l'impact de la "nouvelle route de la soie" chinoise sur l'action climatique au cours de la prochaine décennie ?




Cet article est rédigé par :  Anika PATEL

Article d’origine : https://www.carbonbrief.org/experts-how-will-the-next-decade-of-chinas-belt-and-road-initiative-impact-climate-action/ 

Publié le 06.10.2023


À la fin du mois, la Chine marquera le 10e anniversaire de l'initiative "Nouvelle route de la soie" (BRI), son projet d'infrastructure globale, lors d'une grande conférence internationale à Pékin.

 

Selon les médias d'État chinois, plus de 110 pays devraient participer à ce sommet, dont l'un des trois forums sera consacré au "développement vert".

 

Pourtant, la BRI a fait l'objet de critiques importantes au cours de sa première décennie d'existence pour avoir soutenu le développement d'infrastructures à base de combustibles fossiles à l'étranger, en particulier les centrales électriques au charbon.

 

Bien que le président chinois Xi Jinping se soit engagé à mettre fin au soutien à l'énergie au charbon à l'étranger - et que son pays ait fait part de son intention d'orienter son initiative en matière d'infrastructures vers la "haute qualité", ce qui signifie, entre autres valeurs, un développement bas-carbone. Des questions subsistent quant à l'orientation de la BRI au cours de sa deuxième décennie.

 

Carbon Brief a demandé à d'éminents experts quel impact la BRI pourrait avoir sur l'action climatique dans les années à venir.

 

Projets énergétiques et BRI

La BRI est un projet d'infrastructure global qui vise à développer les routes commerciales entre la Chine et le reste du monde. Elle a été critiquée pour son soutien au développement d'infrastructures de combustibles fossiles à l'étranger, en particulier les centrales électriques au charbon.

 

Le rôle de la Chine dans la construction des projets de la BRI prend principalement la forme d'une participation commerciale chinoise au développement du projet ou de prêts accordés par des institutions financières chinoises.

 

Les banques politiques chinoises ont réduit leurs prêts, le financement étant désormais assuré par un éventail plus large d'acteurs, de la banque publique chinoise à la HSBC.

 

La Chine est rarement propriétaire des actifs qu'elle développe, le port de Hambantota au Sri Lanka étant une exception bien connue.

 

Les infrastructures d'énergie et de transport sont les types de projets BRI les plus courants. Entre 2023 et aujourd'hui, par exemple, les projets énergétiques ont représenté 36 % des investissements de la BRI, tandis que les projets de transport ont représenté 28 %, selon le Green Finance and Development Center (GFDC).

 

Le GFDC a constaté que l'investissement cumulé dans les projets de tous les secteurs dépassait 1 milliard de dollars en août 2023, selon son analyse des données compilées par le ministère chinois du commerce, l'American Enterprise Institute et le GFDC lui-même.

 

Le Council for Foreign Relations a constaté "qu'entre 2014 et 2017, 91 % des prêts au secteur de l'énergie accordés par six grandes banques chinoises aux pays de la BRI étaient destinés à des projets de combustibles fossiles".

 

Toutefois, à partir de 2017, le gouvernement chinois a commencé à encourager "l'écologisation" de la BRI. Puis, en 2021, le président Xi Jinping s'est engagé à ce que la Chine "ne construise pas de nouveaux projets de centrales au charbon à l'étranger".

Parmi les projets récents de la BRI visant à réduire les émissions de carbone, citons le train à grande vitesse indonésien "Whoosh", la centrale solaire Noor Abu Dhabi aux Émirats arabes unis et le terminal à conteneurs international de Colombo au Sri Lanka (voir plus bas).

 

Les chercheurs ont également constaté que, conformément à l'engagement de Xi Jinping, "aucun nouvel investissement dans des centrales à charbon n'a été enregistré dans le cadre de la BRI", rapporte China Dialogue, bien que des "lacunes" aient permis à certains projets de charbon d’être soutenus.

 

Ci-dessous, Carbon Brief pose la même question à cinq experts de premier plan : La Chine a fait part de son intention d'orienter la BRI vers le développement d'énergies bas-carbone.

 

Comment pensez-vous que la BRI pourrait affecter l'action climatique au cours de la prochaine décennie ?

 

Leurs réponses ont été éditées pour plus de clarté et de longueur.

 

Pr. Kevin P. Gallagher, directeur du Global Development Policy Center de l'université de Boston:

 

Alors que la BRI entre dans sa deuxième décennie, la Chine peut consolider son orientation vers un développement bas-carbone dans les pays du Sud. D'après nos recherches au Global Development Policy Center de l'université de Boston, au début de la mise en œuvre de la BRI, la majorité des financements énergétiques de la Chine à l'étranger concernaient les combustibles fossiles en général et les centrales électriques au charbon en particulier. 

 

Les émissions des centrales électriques financées par la Chine dans le monde entier émettent aujourd'hui plus de 245 millions de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) par an, soit à peu près les émissions de CO2 liées à l'énergie de l'ensemble de l'Espagne ou de la Thaïlande chaque année.

 

En 2021, la Chine a annoncé qu'elle ne construirait pas de nouveaux projets de centrales au charbon à l'étranger et qu'elle renforcerait son soutien au développement bas-carbone. À l'avenir, la Chine pourrait s'engager à augmenter le financement à l'étranger pour le développement bas-carbone et à adopter un mécanisme de suivi des projets verts afin de garantir leur conformité avec ces directives.

 

Lin Boqiang, doyen de l'Institut chinois d'études sur la politique énergétique, Université de Xiamen :

 

Dans certains pays situés le long de la "Nouvelle route de la soie", malgré la croissance rapide de la demande énergétique, le développement des énergies vertes est limité en raison de leur niveau économique et technologique relativement en retard et de l'absence de technologies et d'installations avancées en matière d'énergies propres. Grâce à la construction de projets d'énergie renouvelable, tels que l'énergie éolienne et solaire, la Chine peut fournir un soutien technique, financier et expérimental aux pays hôtes afin de promouvoir le développement et la modernisation de leurs industries d'énergie renouvelable.

 

En fournissant davantage d'énergie propre à ces pays, la Chine les aide à réduire leur dépendance à l'égard des sources d'énergie traditionnelles et favorise la transformation énergétique et le développement vert. Parallèlement, certains pays situés le long de la « Nouvelle route de la soie » connaissent des problèmes tels que l'instabilité de l'approvisionnement en énergie, la pauvreté énergétique et la faible efficacité énergétique. La coopération en vue de développer des projets d'énergie renouvelable aidera ces pays à améliorer leur sécurité énergétique et à promouvoir le développement durable le long de la « Nouvelle route de la soie ».

 

Yasiru Ranaraja, directeur fondateur de la Belt and Road Initiative Sri Lanka (BRISL) :

 

L'engagement de la Chine à orienter la BRI vers un développement énergétique bas-carbone a des implications significatives pour l'action climatique dans la décennie à venir. Lorsque nous nous penchons sur le contexte des efforts mondiaux en matière de climat, nous constatons un fossé historique entre les pays développés et les pays en développement en ce qui concerne la justice climatique et le débat sur le principe des responsabilités communes mais différenciées dans le cadre de l'action climatique.

 

Si toutes les parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) reconnaissent l'importance de la lutte contre le changement climatique, l'approche de l'action climatique varie d'un État membre à l'autre. De nombreuses nations en développement donnent la priorité à la croissance économique, à la réduction de la pauvreté, à l'atténuation du changement climatique et à la sécurité énergétique plutôt qu'à des réglementations strictes imposées d'en haut en matière de climat.

 

La Chine, par l'intermédiaire de nouvelle route de la soie (BRI), s'est imposée comme un acteur essentiel en prônant une approche en trois phases du développement bas-carbone: financement, construction et exploitation. Par exemple, au Sri Lanka, le terminal à conteneurs international de Colombo (CICT), qui est un projet de développement des investissements dans le cadre de l'initiative BRI, a adopté des technologies vertes depuis son lancement en 2014.

 

Ce terminal a connu une augmentation remarquable des volumes de marchandises au fil des ans, tout en accordant la priorité à la durabilité environnementale. Le passage à des grues électriques a permis de réduire de 45 % les émissions de CO2 et de 95 % la consommation de diesel... En outre, plus de 80 % de l'électricité du terminal provient de la technologie solaire. L'histoire de la réussite du terminal... illustre comment la prospérité commerciale et la protection de l'environnement peuvent coexister harmonieusement.

 

Pr. Christoph Nedopil Wang, directeur du Griffith Asia Institute, Griffith University :

 

La Chine contrôle presque tous les maillons de la chaîne d'approvisionnement des énergies vertes, des minéraux critiques pour les batteries à la production de plaquettes pour l'énergie solaire, en passant par la fabrication d'éoliennes et le financement nécessaire. Sans la coopération de la Chine, la transition vers les énergies vertes est difficilement réalisable, que ce soit dans le cadre de la BRI ou au-delà... Les pays de la BRI, quant à eux, doivent améliorer leur planification énergétique, leur politique énergétique et leurs marchés de l'électricité afin d'être en mesure d'attirer suffisamment d'investissements chinois dans les énergies vertes. Cela devrait inclure une réduction progressive des subventions aux énergies fossiles et une meilleure utilisation des financements mixtes pour réduire les coûts de financement des énergies vertes, ainsi que des AAE (accords d'achat d'électricité) à plus long terme pour les énergies vertes.

 

Une grande question demeure sur l'accélération de la fermeture des centrales électriques au charbon financées par la Chine et leur remplacement par des énergies vertes. Une étude récente du Green Finance & Development Center et de Climate Smart Ventures montre que l'accélération de la mise hors service et du remplacement des centrales au Vietnam et au Pakistan présente d'importants avantages financiers pour les promoteurs chinois.

 

Guo Hongyu, directeur adjoint de Greenovation Hub

 

La plupart des pays partenaires de la BRI sont des pays en développement dont les systèmes sociaux, économiques et écologiques sont affectés de manière disproportionnée par les effets du changement climatique. Ceux-ci compromettent encore davantage leurs efforts pour atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies. En s'appuyant sur les lignes directrices existantes sur l'écologisation de la BRI et sur l'engagement d'accroître le soutien au développement des énergies vertes et bas-carbone dans les pays en développement, la coopération dans le cadre de la BRI pourrait contribuer à la mise à l'échelle des solutions climatiques, au renforcement de la résilience climatique et à la mobilisation de financements innovants, tout en minimisant les risques liés au climat pour les projets de la BRI et les communautés locales au cours de cette décennie cruciale.

[Les options pour y parvenir incluent :] Premièrement, partager les bonnes pratiques et encourager la coopération avec les pays partenaires de la BRI en matière d'énergie renouvelable, en particulier l'énergie solaire distribuée dans le développement rural et la réduction de la pauvreté, les synergies entre le contrôle de la pollution de l'air et la réduction des émissions de CO2, ainsi que les politiques de financement vert et les produits financiers innovants. Deuxièmement, renforcer la gestion des risques environnementaux liés au climat, à la nature et les exigences en matière d’investissements à l'étranger. Enfin, partager les connaissances sur la planification, les systèmes d'alerte précoce et l'évaluation des risques liés au climat et de leurs impacts, afin d'aider les pays de la BRI à formuler des plans d'adaptation nationaux, et à identifier les lacunes dans le financement de l'adaptation.



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